Dans le canton de Genève, selon un protocole de collaboration en vigueur depuis quelques années, le Service de protection des mineurs est avisé par la police lorsque celle-ci établit un rapport à propos d'un acte de violence entre partenaires intervenu en présence d'un enfant mineur, sous forme d'une copie du rapport. En tant qu'assistant social de ce service, je me suis interrogé sur le danger encouru par les enfants exposés à des actes de violence conjugale, mais aussi sur la façon d'aborder avec les parents ces situations caractérisées par la présence de violence au sein du couple. L'objectif de ce travail est double : d'une part, faire le point sur les connaissances actuelles concernant la problématique de l'enfant exposé à la violence conjugale, qui sont essentiellement d'origine nord-américaines ; d'autre part, en se fondant sur ces connaissances, poser des jalons pour l'évaluation et l'intervention dans ces situations signalées par un rapport de police, mais aussi ouvrir quelques pistes de réflexion sur le déroulement de ce processus, qui s'élabore dans une rencontre avec une famille et qui vise un mieux-être pour l'enfant. Les études publiées à ce sujet se réfèrent au modèle dit "féministe" de la violence conjugale, le plus répandu selon la littérature, qui se caractérise par des violences graves et répétées du partenaire sur la mère des enfants. Les conséquences potentielles de la violence conjugale sur l'enfant couvrent un très large spectre : elles peuvent atteindre la sécurité de l'enfant et sa santé physique, son développement psychologique, ses compétences sociales et ses relations familiales. Selon ces études, on ne peut postuler l'existence d'un lien automatique entre la violence conjugale et une mise en danger du développement de l'enfant : à l'extrême, l'impact sur l'enfant peut être équivalent à celui d'actes de maltraitance directs, jusqu'à l'apparition d'un syndrome de stress post-traumatique, mais à l'inverse, un certain nombre d'enfants ne présentent pas de symptômes significatifs de détresse ou de mauvaise adaptation. Les conséquences de la violence conjugale sur l'enfant dépendent de plusieurs facteurs : la durée et l'intensité des violences, la façon dont elles sont vécues par ses parents, et en particulier par la mère (généralement principale pourvoyeuse de soins), les changements familiaux qu'elles ont engendrés mais aussi l'âge auquel l'enfant y est exposé, ses ressources personnelles, ainsi que la qualité des relations qu'il entretient par ailleurs avec ses parents, et notamment avec sa mère. Sur le plan pratique, la connaissance de la problématique des violences conjugales au sens large et de leur impact potentiel sur l'enfant permet d'orienter l'évaluation et l'intervention dans ces situations. Au niveau du processus d'évaluation, la forme des violences au sein du couple peut conduire à adapter les modalités de rencontre avec les parents afin de garantir à la victime un cadre de sécurité individuel. L'impact de la violence sur l'enfant étant très variable, il est nécessaire d'évoquer les différents aspects de son développement avec ses parents, mais aussi avec des professionnels du domaine de l'enfance (pédiatres, éducateurs-trices, enseignant-es), et d'articuler les informations recueillies. On tiendra notamment compte du fait que le risque est élevé pour le bébé et le jeune enfant jusqu'à deux, voire quatre ans, en raison de la vulnérabilité due à cet âge, ce d'autant que la grossesse et l'accouchement, sont des périodes à risque pour la survenue de violences conjugales. Le cas échéant, le recours à une évaluation spécialisée de l'enfant sur le plan physique ou psychologique est recommandé. Selon la dynamique de violence (arrêt ou persistance, notion d'emprise et de pouvoir sur la mère), le couple sera orienté vers des consultations de type couple et famille ou plutôt vers des moyens légaux et des ressources spécialisées d'aide aux femmes victimes et aux hommes auteurs de violence. Dans cette seconde perspective, il importe de développer les liens de partenariat avec ces structures, dans une optique de parentalité. Cependant, il est essentiel de ne pas appliquer d'emblée à la situation de l'enfant une grille de lecture unique qui serait celle de la violence conjugale simplement parce qu'un rapport de police a été établi pour ce motif. Selon la situation familiale, les difficultés de l'enfant peuvent être liées à d'autres problématiques qui peuvent apparaître dans l'évaluation, soit au niveau du rapport de police déjà (alcoolisme, toxicomanie, etc.), soit plus tard (par exemple persécution politique et migration, problèmes antérieurs de développement chez l'enfant, etc.), et qui nécessiteraient d'autres orientations. Enfin, cette problématique nous invite à élargir la perspective et à voir si les violences conjugales ne sont pas liées dans certains cas à d'autres violences, sociales, institutionnelles ou politiques, dont les enfants et leurs familles sont victimes dans notre société ; peut-être pouvons-nous parfois également agir à ce niveau-là en faveur de l'enfant.